les Vertus du Dhikr
29 avril 2019Le dhikr s’entend toujours au sens religieux du terme comme une pratique de l’invocation au moyen d’une formule ou d’un mot sacré exprimé soit verbalement, et c’est le dhikr jali ou jahri (à haute voix), soit mentalement, et c’est le dhikr khafi ou muet. On peut le pratiquer individuellement et solitairement dans le cadre de la retraite spirituelle (khalwa) ou collectivement dans des assemblées de fidèles.
Au-delà des techniques et des modalités de son accomplissement, le dhikr reste le moyen le plus efficace pour lutter contre les assauts du mental, contre la distraction et la dispersion dues aux multiples soucis de la vie quotidienne et pour assurer une présence spirituelle vivante et vivifiante qui permet au fidèle de participer avec tout son être à l’adoration de son Seigneur. Car le dhikr est avant toute chose une prière continue et ininterrompue visant à éveiller le fidèle et à l’arracher à sa somnolence provoquée par la pesanteur des soucis et des attraits du bas-monde.
On ne doit pas négliger ces aspects pratiques du dhikr, car il n’y a rien de plus naturel pour pérenniser sa dévotion que la répétition inlassable des formules sacrées. Voilà pourquoi le Prophète – que Dieu lui accorde la grâce et la paix – incite les croyants à répéter tous les jours, après chaque prière prescrite, un certain nombre de fois des formules sacrées comme la demande de pardon divin (al istighfar) ou la profession de foi (il n’y a de dieu que Dieu et Mohammad est l’Envoyé de Dieu) ou le takbir (Allahu akbar) ou le tahmid (al-hamdou lillah) ou le tasbih (subhana Allah), ou l’invocation de grâce en faveur de l’Envoyé de Dieu : Ô Seigneur accorde la grâce et la paix à Mohammad (allahumma Salli wa salim ala sayyidina Mohammad) etc.
En effet toutes ces formules sacrées qui proviennent généralement des versets coraniques et qui sont récitées en alternance avec la prière et les autres actes rituels font partie des formules de dhikr les plus courantes. C’est que le mot arabe dhikr signifie : Rappel, Mention, Invocation, Souvenir, Remémoration et il faut savoir que le Coran lui-même est une forme de dhikr, il contient le dhikr et il parle des Ahl al-dhikr (les gens du dhikr). En de nombreux versets coraniques, Dieu – qu’Il soit exalté – nous recommande et nous incite même à L’invoquer : « Invoque ton seigneur lorsque tu oublies » (Coran, 18/23), « Mentionnez votre Seigneur avec imploration… » (Coran, 7/55), « C’est par la Mention de Dieu que les cœurs trouvent l’apaisement. » (Coran, 13/28), « Ô vous qui avez cru ! Invoquez Dieu fréquemment ! » (Coran, 33/41). De même, le Prophète – que Dieu lui accorde la grâce et la paix – encourage les fidèles dans plusieurs hadîths à pratiquer le dhikr comme dans ce hadith quodsi où Dieu dit : « Celui que mon dhikr (ma mention) préoccupe au point de ne pas m’adresser des demandes, je lui accorde plus excellent que ce que j’accorde aux demandeurs », « L’être humain n’accomplit aucune œuvre qui le sauve mieux du châtiment de Dieu que le dhikr d’Allah, les singuliers (al Mufradun) ont la préséance. » Les compagnons lui demandèrent : « Ô Envoyé de Dieu ! Qui sont les singuliers ? » Il répondit : « Ce sont ceux et celles qui mentionnent Dieu abondamment. », « Ne vous informerais-je pas de la meilleure de vos actions et de la plus élevée dans les degrés que vous atteignez, de la plus pure pour vos biens, de ce qui vous est plus profitable que de donner l’or ou toute sorte de monnaie et de ce qui est meilleur pour vous que le combat de vos ennemis au cours des grandes mêlées ? » Ils dirent : « Si. » Il ajouta : « C’est le dhikr d’Allah. » Al Hassan a dit : « J’ai demandé : « Quelle est l’œuvre la plus excellente, Ô Envoyé de Dieu ? » Il répondit : « Que tu meurs alors que ta langue est humide du dhikr de Dieu.» C’est dire que le dhikr est le meilleur moyen dont dispose le croyant pour polir son cœur et le rendre transparent. Dieu – qu’Il soit exalté- a dit : « En vérité, la prière évite les turpitudes et tout ce qui est désapprouvé. Et le dhikr d’Allah est le plus grand » (Coran, 29/45).
Ainsi la mention de Dieu peut avoir des effets qui portent plus loin que la prière rituelle ou plutôt c’est une prière continue et c’est la quintessence de la prière. En effet, le dhikr vise à se libérer de l’insouciance et de l’oubli grâce à la présence continuelle du cœur auprès de Dieu, et à l’attachement régulier de la langue à la pratique du dhikr. Car lorsque le cœur excelle dans la pratique du dhikr, la langue se tait et cesse de se mouvoir, mais lorsque le cœur tombe dans la négligence et l’insouciance, la langue reprend le dhikr par habitude et par application. Comme le dit le cheikh Ibn Ata-Allah al Iskandari dans son livre « Miftah al Falah », le dhikr d’Allah est la clé de la réussite et le flambeau des esprits par Faveur de Dieu. C’est le pilier de la voie et le soutien des gens de la réalisation.
L’invocateur ne cesse de pratiquer le dhikr avec la langue tout en s’efforçant d’y être présent avec le cœur. S’il s’adonne à cette pratique et en prend l’habitude, ses pensées ne l’assaillent plus, à tel point que le dhikr du cœur fait corps avec celui de la langue, que la lumière du cœur consume les passions et les diables, que son dhikr intérieur prend de l’ascendant, affaiblissant de la sorte celui de la langue et que son corps est pénétré par ses lumières. Son cœur se purifie des soucis et se soustrait aux suggestions et aux assauts démoniaques. Il devient ainsi le théâtre où surviennent les événements spirituels (al waridat) et le miroir poli pour recevoir les connaissances subtiles.
L’imam al Ghazali indique que le dhikr comporte trois écorces qui enveloppent successivement le noyau central. Elles ont pour unique valeur le fait de communiquer avec le noyau central. L’écorce la plus extérieure s’apparente au dhikr de la langue ; les deux autres s’assimilent au dhikr du cœur. Comme il existe peu d’ouvrages consacrés entièrement au dhikr, nous proposons au lecteur ce petit guide sur le dhikr ou l’auteur Cheikh Abdel Kader Aïssa commence par expliquer les différentes significations du mot arabe dhikr puis cite de nombreux versets coraniques, des hadîths prophétiques et des propos des savants musulmans attestant la parfaite validité du dhikr et son importance en tant que forme d’adoration de Dieu. Il passe en revue ensuite les différentes sortes de dhikr et leurs multiples formulations avant d’évoquer les fruits et les résultats du dhikr ainsi que la mise en garde contre son abandon et sa négligence, car comme le souligne Ibn al Qayyim al Jawziya : « Nul doute que le cœur s’expose à la rouille comme le cuivre, l’argent et d’autres métaux. Son polissage se fait au moyen du dhikr. En effet, le dhikr ne se cesse de polir le cœur jusqu’à le rendre comme un miroir brillant. Ainsi, s’il néglige le dhikr, il se rouille et s’il le pratique, celui-ci le polit. La rouille du cœur est provoquée par deux choses : l’insouciance et le péché, et son polissage s’effectue au moyen de deux choses : la demande du pardon et le dhikr. Aussi, chez celui qui passe la plupart de son temps dans l’insouciance, la rouille ne cesse de s’accumuler dans son cœur. Si la rouille met du temps pour s’agglutiner et s’accumuler, le dhikr est un excellent décapant et un outil de tous les instants pour l’éliminer. »
Pour finir, citons cette belle formule sur le dhikr qu’Ibn AtaAllah produit dans son « Miftah al Falah » : le dhikr est un sultan, chaque fois qu’il descend en un endroit, il annonce sa présence grâce à ses trompettes et ses tambours, car mis à part Dieu (al-Haq), le dhikr s’oppose à tout lorsqu’il apparaît en un lieu, il s’attache à anéantir tout ce qui s’oppose à lui, comme l’eau qui éteint le feu sur son passage.